Quelques considérations sur les paramètres de l’eau

Les paramètres d’un aquarium d’eau douce sont variés et il existe plusieurs moyens de les définir. Je me cantonnerai ici, dans un premier temps du moins, à présenter ceux qui me semblent indispensables à une bonne compréhension des interactions présentes dans un aquarium. La première notion à avoir en tête, c’est que, si dans la nature les cycles que nous aborderons ici peuvent se réaliser en totalité, l’aquariophile ne dispose quant à lui que d’un volume restreint dans lequel il devra certainement intervenir pour permettre à l’eau de rester d’une qualité compatible avec les besoins des poissons.

Avant tout, commençons par nous arrêter sur les interactions fondamentales qui régissent les relations entre les plantes, par définition photosynthétiques, et les organismes qui respirent. A ce stade (c’est-à-dire après deux lignes seulement…) une première critique pourrait déjà être lancée contre cette première assertion. En effet, opposer les plantes et les organismes qui respirent représente un raccourci certain puisque les plantes respirent elles aussi ! Nombre d’ouvrages pour débutant passent sous silence cet aspect pourtant fondamental à la compréhension du cycle du pH que nous aborderons infra. Plutôt que de rester sur cette opposition initiale, préférons donc préciser d’emblée que si les plantes respirent et rejettent du CO2, elles sont, d’une manière générale de plus grandes productrices d’oxygène que de dioxyde de carbone. Pour vous en convaincre, demandez-vous simplement si vous considérez une plante comme une cause ou une solution à la diffusion de CO2 dans l’atmosphère terrestre. Comme tout le monde le sait depuis le collège, les plantes captent du CO2 et le transforment en oxygène au cours du processus de photosynthèse. Ce processus nécessite de la lumière et n’est donc pas actif la nuit. Schématiquement les plantes d’aquarium enrichissent donc l’eau en oxygène durant la phase diurne et, au contraire, rejettent du CO2 durant la nuit. En aquarium, elles jouent un rôle intéressant en captant, du moins le jour, une partie du CO2 libéré par la respiration des poissons et en apportant l’oxygène nécessaire aux organismes qui peuplent l’aquarium, non seulement aux poissons, mais aussi aux bactéries aérobies indispensables à une bonne filtration biologique. Si cette description paraît logique, nous avons tous déjà vu des aquariums qui se portent très bien sans plantes. Serait-ce à dire que les poissons qui les peuplent n’auraient pas besoin d’oxygène ? Bien sûr que non. L’oxygène qui leur est indispensable est simplement apporté par dissolution, tout comme le CO2 qu’ils rejettent est lui-même transféré dans l’atmosphère. C’est pourquoi la surface de la plupart des bacs dépourvus de plantes est très bien brassée, afin justement de favoriser les échanges gazeux. L’utilisation de pompes à air avec diffuseur peut même s’avérer utile, tout du moins dans des aquariums de présentation, de vente ou de quarantaine. Je ne suis, vous l’aurez compris, pas adepte d’une utilisation permanente de tels appareils, ayant toujours privilégié une densité de population raisonnable et un fort brassage. Si les aquariums dépourvus de plantes doivent être oxygénés par un brassage de surface important, les aquariums très plantés seront en général conçus sans courant important à la surface afin d’éviter la perte de CO2 dans l’atmosphère. Ceci est particulièrement vrai pour les bacs équipés d’un système d’injection de CO2, système permettant l’amélioration de la culture des plantes par l’ajout régulier d’un élément de base de la photosynthèse. Brasser vigoureusement la surface d’un aquarium tout en injectant du CO2 est en réalité un non-sens. De même, ne pas équiper son système d’injection d’une minuterie qui coupe l’apport durant la nuit revient à risquer de déstabiliser son bac par un ajout inconsidéré d’un élément inutile plus de la moitié du temps. En effet, l’ajout de CO2 doit être contrôlé car ce dernier n’intervient pas que dans la photosynthèse, mais influe aussi sur la dureté carbonatée et sur le pH. La dureté carbonatée ou dureté temporaire représente pour l’aquariophile la capacité de l’eau à éviter de trop grands écarts de pH. On parle d’ailleurs souvent d’effet tampon. Pour comprendre cet effet, il faut s’arrêter un instant sur la définition du pH, valeur trop souvent considérée en elle-même, alors qu’elle est largement tributaire de la dureté carbonatée, de la production d’éléments acidifiants (comme le CO2), voire de l’utilisation d’éléments carbonatés par les plantes. Le pH représente une mesure de l’équilibre des ions OH- et H+ dans l’eau. Les molécules d’eau (H2O) peuvent en effet se dissocier en deux types d’ions (OH- et H+). Si l’eau contient une quantité équivalente de ces ions, on dira qu’elle est neutre et qu’elle présente un pH de 7. Si elle contient davantage d’ions H+, elle est acide et si elle contient plus d’ions OH-, elle est dite alcaline. Les acides ont tendance à acidifier l’eau et les bases à l’alcaliniser. Or nous avons vu que le processus de respiration des poissons et des plantes produit du CO2. En milieu aqueux ce CO2 interagit avec la molécule d’eau (H2O) pour donner de l’acide carbonique (H2CO3). Comme il s’agit d’un acide, il aura tendance à acidifier l’eau, autrement dit à faire baisser son pH. Si l’on prend en compte ce qui a été évoqué supra, on comprend dès lors que le pH subit une fluctuation quotidienne, puisque durant la nuit la production de CO2 n’est plus captée par la photosynthèse. A l’aurore, l’aquarium contient davantage de CO2 que le soir, son pH est donc plus faible. Évidemment, l’eau ne contient pas que du CO2. Les différents sels dissous interagissent eux aussi. Ainsi faut-il tenir compte de la teneur en carbonates et hydrogénocarbonates de notre eau. Ces éléments définissent ce que l’aquariophile désigne sous le terme de titre alcalimétrique complet (TAC) ou dureté carbonatée (KH). Nous n’entrerons pas ici dans la différence entre ces notions. Ce TAC reflète la capacité de l’eau à résister à une acidification, notamment due à la production d’acide carbonique. Il faut concevoir les éléments constitutifs du TAC comme une réserve qui aura tendance à s’épuiser par l’action respiratoire des poissons, des plantes et des bactéries aérobies. Des changements d’eau réguliers permettront de maintenir une valeur adéquate de ce TAC et, partant, de maintenir le pH dans une fourchette acceptable pour la majorité des poissons d’aquarium. Évidemment, dans des circonstances particulières comme le maintien d’espèces requérant une eau très douce, l’aquariophile pourrait souhaiter obtenir une eau présentant une faible valeur de TAC. Il est assez simple aujourd’hui d’obtenir une telle eau, par exemple grâce à l’utilisation d’un osmoseur. Il devra néanmoins garder à l’esprit qu’une eau peu tamponnée connaîtra d’importants écarts de pH, ce qui peut nuire aux poissons.

Outre les notions de cycle du carbone, de pH et de titre alcalimétrique complet, l’aquariophile doit également se familiariser avec le concept de dureté totale (GH ou TH) de l’eau et de cycle de l’azote. La dureté totale représente la concentration en sels calciques et magnésiques d’une eau. La plupart du temps, l’aquariophile ne fait pas la distinction entre ces types de sels. Une telle distinction n’a que peu d’intérêt pour la plupart des poissons, à part pour ceux provenant de biotopes particuliers où la proportion entre ces sels est inhabituelle (p. ex. lac Tanganyika). Je tiens immédiatement à préciser que l’exemple cité n’a de sens que pour les éventuelles espèces importées, l’élevage massif des espèces concernées ayant permis une adaptation généralisée à la plupart des eaux du robinet. Et comme je ne suis pas un fervent adepte de la capture dans le milieu naturel (sauf dans des cas précis qui feront l’objet d’un prochain article), je passerai donc cet aspect. Schématiquement, on peut séparer les espèces en deux types distincts : celles qui ont besoin d’une eau particulière (par exemple peu minéralisée comme le discus ou le cardinalis) et celles qui se contentent d’une eau du robinet (ce qui englobe la plupart des espèces vendues dans le commerce). Cependant, il est essentiel que l’aquariophile responsable se renseigne sur l’espèce qu’il souhaite acquérir afin de lui proposer une eau conforme à ses besoins. Il sera facile d’augmenter, de diminuer voire de modifier la teneur en sels d’une eau en s’équipant d’un osmoseur et de sels adéquats du commerce, servant à restituer les caractéristiques d’un biotope défini.

La dernière interaction importante à connaître est celle, fondamentale, du cycle de l’azote. Les animaux ou les plantes présents dans le milieu aqueux produisent des déchets sous formes azotées qui se transforment, par ammonisation, en ammoniac. Cette transformation fait entrer en jeu deux produits qui, s’ils paraissent identiques, ne présentent pas du tout les mêmes risques pour les poissons. En milieu acide à légèrement alcalin, la plupart des résidus rencontrés après la phase d’ammonisation se présentent sous forme d’ions d’ammonium, alors que dans un milieu plus alcalin, on observera une tendance à la création d’ammoniaque (forme dissoute de l’ammoniac). Bien que dangereux, l’ammonium est environ 50 fois moins toxique que l’ammoniac. Il est de plus capté en partie par les plantes. Cette première transformation est suivie d’une seconde, celle de l’ammonium en ions nitrites (NO2-), puis d’une troisième, celle des nitrites en nitrates (NO3-). Toute cette chaîne de transformation est assurée par des bactéries aérobies et tend à créer un produit final, les nitrates, nettement moins nocif pour les organismes que l’ammonium ou les nitrites. Les nitrates présentent néanmoins un inconvénient majeur : ils s’accumulent dans l’aquarium et, sans changement d’eau régulier, ils peuvent atteindre des taux qui fragilisent les poissons. Le remplacement régulier d’une partie de l’eau de l’aquarium reste donc la principale mesure prophylaxique pour conserver un aquarium sain. Il existe bien sûr des appareils et des systèmes qui permettraient en théorie de se passer de changements d’eau, mais l’expérience tend à montrer qu’il vaut mieux y procéder que se baser uniquement sur des dénitrateurs fondés sur des colonies de bactéries anaérobies censées transformer et à terme permettre l’évacuation des nitrates du système ou sur des résines spécifiques qui ne se justifient à mon sens qu’en utilisation ponctuelle. La compréhension du cycle de l’azote doit amener l’aquariophile à intégrer l’importance de la période d’attente indissociable de la mise en place de toute nouvelle installation. Cette période permet aux différents types de bactéries (Nitrosomonas, Nitrobacter…) de coloniser les substrats de filtration (mousse, sable…) et de se multiplier suffisamment pour être en mesure de gérer l’excédent de pollution que représentera l’arrivée des premiers poissons (nourriture, déchets…). L’expérience a montré qu’un des meilleurs moyens pour ensemencer un nouveau bac reste l’utilisation de mousse ou de substrat provenant d’un ancien aquarium sain. Cette manière de procéder permet de disposer très rapidement des colonies bactériennes nécessaires.

J’espère que ces quelques considérations sur les paramètres de l’eau de l’aquarium vous ont donné envie d’en savoir davantage. Si tel est le cas, je vous propose la lecture de l’ouvrage suivant.