Le poisson : bien plus qu’une simple marchandise

L’idée de cet article n’est absolument pas de traiter de l’origine biologique des poissons, mais de s’arrêter un instant sur une réflexion que chaque aquariophile devrait mener avant de commencer l’aquariophilie. Partant du principe que la plupart des amateurs sont des passionnés qui aiment leurs poissons, il paraît normal qu’ils se questionnent tôt ou tard sur les implications de leur hobby sur des êtres vivants. En effet, si nous sommes au début subjugués par la beauté et le caractère captivant de nos pensionnaires, il arrive bien souvent un jour – à l’occasion d’une maladie que l’on n’a pas pu soigner ou lors d’une visite d’un magasin où les poissons n’ont pas l’air d’être maintenus dans de bonnes conditions – que l’on se questionne sur l’impact de l’aquariophilie sur cette notion aussi générale qu’abstraite qu’est la Nature. Je ne me propose pas ici de régler une fois pour toutes une question qui dépasse largement le cadre d’un article, mais je pense qu’il demeure utile de thématiser ce questionnement qui, loin de condamner l’aquariophilie, permet d’évoluer et de réguler sa pratique. J’ai pu constater, lorsque je travaillais dans un magasin d’aquariophilie marine parallèlement à mes études universitaires, que l’aquariophile qui se pose ce type de questions a déjà fait un pas dans la bonne direction. Ne considérant plus les poissons comme de simples marchandises, il s’enquiert de leur provenance, de la méthode de pêche utilisée, voire de la pérennité de l’espèce à l’état sauvage. J’entends d’ores et déjà les critiques qui affirmeront que si l’on s’intéresse véritablement à l’environnement, on n’acquiert pas d’aquarium. Personnellement je rejette cet argument car j’ai pu constater que ceux qui le défendent le font le plus souvent au nom d’un dogme et sans véritablement s’intéresser à la compréhension de l’environnement. La position médiane, plus aristotélicienne, qui consiste à essayer de recréer et de comprendre les interactions d’un écosystème captif tout en respectant le caractère vivant des êtres qui y sont hébergés me semble pour l’heure plus intéressante et plus constructive que la simple condamnation de l’aquariophilie. Je ne me permettrai néanmoins pas de jeter la pierre aux défenseurs de la nature qui ne voient dans notre hobby que cruauté et emprisonnement, car nous ne pouvons nier que bien trop de poissons restent maintenus dans des conditions inadaptées.

Passé ces éléments liminaires, arrêtons-nous un instant sur la double réflexion qui taraude les aquariophiles éclairés. La première question se veut d’ordre général et consiste à se demander s’il est éthique de prélever des animaux dans la nature pour les élever dans un milieu fermé. La réponse à cette interrogation est multiple et dépend à mon avis de l’objectif qui est visé. Si je pense que nombre de personnes peuvent concevoir que l’on prive des individus de liberté dans un but de préservation de l’espèce (que ce soit en vue du sauvetage d’une population dont le biotope tend à disparaître, de la reproduction d’une espèce rare ou en voie d’extinction, ou encore de la présentation à un large public dans la perspective d’une réelle sensibilisation), l’argument me semble moins pertinent quand il s’agit d’élever un individu isolé sans chance de reproduction et dans un but strictement esthétique. Ce premier aspect relève également de la nécessité de ne pas perturber inutilement l’écosystème en le mettant en danger pour des raisons purement commerciales. L’aquariophilie est bien entendu le plus souvent un facteur négligeable en comparaison de la déforestation ou de la pollution des eaux, mais nuire moins que d’autres activités ne dédouane pas totalement l’aquariophilie non plus. Face à ces doutes, certains spécialistes affirment au contraire que l’aquariophilie tendrait à préserver certaines zones naturelles. En effet, l’intérêt commercial des poissons d’ornement pousserait la population locale à maintenir les conditions naturelles nécessaires à la reproduction des individus qui permettent de dégager un véritable bénéfice. L’exemple type qui mène à ce constat serait la préservation de zones où l’on trouve des poissons comme le Centropyge loriculus ou le fameux Paracheirodon axelrodi. Loin de moi l’idée de trancher ce débat et je n’expose ces exemples que pour faire comprendre que les arguments ne sont pas toujours aussi simples que ce que l’on pourrait penser au premier abord. L’impact du prélèvement dans la nature dépend aussi largement des populations présentes. Mais soyons honnête : quel aquariophile moyen peut se targuer de connaître réellement l’état de préservation d’une population sauvage ? Dans ces conditions, je préfère personnellement m’en tenir à des spécimens d’élevage, sans pour autant jeter la pierre à ceux qui, soucieux du renouvellement génétique des individus d’aquarium ou convaincus du bénéfice de leur action sur des écosystèmes mis en valeur par l’aquariophilie, importent des poissons sauvages, en toute connaissance de cause.

Le deuxième aspect de la question que se pose généralement l’aquariophile relève moins de l’impact de sa passion sur les milieux naturels que du bien-être des individus qu’il décide d’héberger. Ce bien-être concerne toute la chaîne d’approvisionnement, de la reproduction à la vie du poisson dans l’aquarium domestique. Bien entendu, la responsabilité de l’aquariophile est principalement concentrée sur la phase de commercialisation et de maintenance*. Il peut en effet choisir un revendeur qui maintient correctement les poissons dans des bacs propres, mais surtout exempt de maladie. Ce n’est en général pas à la première visite que l’on peut savoir si un commerçant traite correctement ses animaux. La relation qui se tisse au fil des discussions entre l’aquariophile et le commerçant est primordiale pour que s’installe un climat de confiance qui permettra de s’assurer que les poissons ne sont pas que des marchandises à écouler aux yeux du revendeur. De plus, l’aquariophile aura la responsabilité de faire ce qui est en son pouvoir pour mettre en place des conditions de vie optimales pour ses pensionnaires. Ces conditions sont nombreuses. Elles commencent avec l’installation d’un aquarium assez volumineux pour les espèces envisagées (voir l’article Réflexions sur le volume de la cuve), une eau dans laquelle le cycle de l’azote aura eu le temps de s’installer (voir l’article Quelques considérations sur les paramètres de l’eau), des cachettes en suffisance, un matériel adéquat (filtre, chauffage, éclairage…), des colocataires compatibles et surtout une réelle volonté de s’impliquer dans l’aquariophilie. Cette implication se révélera primordiale sur le long terme, puisque c’est bien par votre investissement régulier en temps que vous préserverez des conditions optimales pour vos poissons. D’un naturel optimiste, je pense que le simple fait que vous ayez pris le temps de lire cet article jusqu’au bout atteste de votre réelle implication dans une aquariophilie raisonnée.

 

*L’aquariophile a malgré tout également un rôle à jouer dans le traitement des poissons avant leur arrivée en magasin, puisque c’est sa propension à ne pas chercher à tout prix à payer moins qui va permettre la mise en place d’un processus de production respectueux des individus.

 

 

Pour approfondir quelque peu cette réflexion, je vous propose de consulter l’article de Frédéric Potier qui répond à la question « Y a -t-il des labels pour les poissons ? » dans le numéro de mai/juin 2019 de l’aquarium à la maison, p. 16. Il y évoque notamment quelques paradoxes liés à l’IBAMA (organisme d’état chargé de protéger la biodiversité au Brésil) qui interdit l’exportation de certains Loricariidés pour l’aquariophilie, alors même que leur environnement est menacé par la construction de barrages construits par le gouvernement brésilien lui-même. Il met également en avant le manque d’actualisation des données concernant l’état de sauvegarde de certaines espèces, prenant l’exemple de Melanoteania boesemani lequel ne serait plus du tout exporté depuis 30 ans, mais dont le statut officiel mentionne qu’il est toujours menacé par la pêche aquariophile…

Cet article souligne au final les bénéfices d’un prélèvement raisonné dans la préservation d’écosystèmes qui, grâce à l’aquariophilie, deviennent dignes d’intérêt, financièrement parlant.