Réflexions sur le volume de la cuve
L’aquariophilie se veut par définition la conservation d’un écosystème dans un espace clos. La taille – ou plutôt dans notre cas le volume – de cet espace détermine en grande partie la viabilité du projet. Tout le monde sait que plus le volume de la cuve est important, plus il sera facile de pallier les différents écueils que peut rencontrer l’aquariophile. En effet, selon le principe bien connu de la dilution, une même quantité excédentaire de nourriture ne générera pas de problème de santé sur les poissons d’un grand aquarium, alors qu’elle pourra rapidement provoquer une surdose létale de composés ammoniacaux dans un volume plus restreint. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que l’unité de mesure de ces composés s’exprime en milligramme par litre. La latitude offerte par les grands volumes ne doit cependant pas faire oublier que si un excès devient chronique, l’effet indésirable ne sera que retardé et non définitivement supprimé.
Outre cet aspect, il est un deuxième élément qui vient obligatoirement à l’esprit du novice : de quel volume ont besoin les poissons que je souhaite acquérir pour vivre et se développer ? Le réflexe sera alors de se diriger vers des ouvrages de référence qui, dans l’imaginaire collectif du moins, répondront parfaitement à la question. Si j’approuve et appuie la démarche qui consiste à se renseigner avant d’agir, je dois admettre, au risque de choquer, qu’en ce qui concerne les volumes adéquats pour la maintenance des poissons, il est souvent préférable de faire preuve de bon sens que de se cantonner à la simple lecture d’un chiffre dans un livre. Ayant, depuis plus de 20 ans, parcouru un grand nombre de références publiées par des auteurs reconnus, un élément me saute maintenant aux yeux : personne ne semble d’accord ! Plutôt que se focaliser sur un chiffre (ici celui du volume conseillé), mieux vaut prendre en compte en toute bonne foi les caractéristiques du poisson que l’on souhaite élever. Des paramètres comme sa taille adulte, l’espace de nage qui lui est nécessaire, son besoin de congénères, le taux d’oxygène que son eau doit comporter ou la surface du territoire qu’il défend doivent être pris en considération, plus que la simple mention d’un volume brut. Je suis convaincu qu’il existe deux manières d’appréhender la recherche d’un volume adéquat pour ses poissons. La première relève davantage d’une volonté de légitimation de son choix. L’aquariophile cherche à se convaincre que le volume qu’il pense accorder à son poisson suffira. La seconde (évidemment à privilégier) consiste à éviter de prendre des poissons dont les besoins ne correspondent pas aux conditions offertes.
Voici un exemple qui illustre mon propos. Je choisis volontairement un très grand poisson « d’aquarium », l’arowana (Osteoglossum biccirhosum, VANDELLI 1829), dont j’ai récemment vu pas moins de 4 exemplaires en vente dans les magasins de Suisse romande. Outre le fait qu’un tel poisson atteint plus d’un mètre dans la nature et est donc soumis à autorisation en Suisse, il s’agit d’un prédateur qui ne cesse de nager, le plus souvent en surface. Si l’on en croit l’Atlas du Dr Axelrod, édition 1994, la capacité idéale du bac qui hébergera ce poisson sera de… 400 litres ! (op. cit, p. 12 et p. 219) Pour le même poisson, nous trouvons une référence encore plus saugrenue dans la première édition française du fameux Atlas de l’aquarium du Dr Riehl et Baensch (p. 859) dans laquelle le poisson peut atteindre 120 centimètres, mais pourrait être hébergé dans un aquarium d’un mètre de façade. Est-ce à dire que ces auteurs reconnus sont inconséquents ? En fait, pas du tout. C’est à l’aquariophile de faire preuve de discernement. Ce qui est vrai pour un jeune de quelque 20 centimètres ne l’est plus lorsque l’on parle d’un « monstre » de près d’un mètre. Ici, la prise en compte de la taille adulte et du comportement du poisson doivent primer sur la notion de volume minimal proposé.
Cet exemple me permet d’aborder un aspect essentiel qui est parfois oublié. Accueillir un poisson, c’est en prendre soin jusqu’à sa mort naturelle. Je ne dis pas ceci pour empêcher quiconque de procéder à des échanges d’animaux, mais nous entendons (ou lisons) trop souvent qu’un poisson est acheté sans tenir compte de ses futurs besoins, selon le fameux mais funeste adage : je changerai d’aquarium quand il sera grand. Rien ne s’oppose fondamentalement à agrandir l’aquarium au fur et à mesure de l’évolution de ses habitants. Mais c’est encore une fois la pratique et l’expérience qui démontrent que rares sont les passionnés capables de réaliser cette prédiction. Le plus souvent, l’aquariophile se retrouvera avec des poissons trop grands pour son bac, poissons qu’il ne parviendra pas toujours à replacer, nombre de magasins restant en effet réticents à l’idée de récupérer les grandes pièces des particuliers. Cet article vise avant tout à rappeler que l’enthousiasme de l’achat et l’envie de possession doivent être subordonnés au réel bon sens qui ne découle pas d’une simple légitimation trouvée dans un manuel, comme l’exemple ci-dessus tend à le montrer. En aquariophilie comme ailleurs, on peut faire dire (presque) ce que l’on veut aux chiffres.